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samedi 26 juin 2010

Habiter une langue

« On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. » Cette citation, qui fait partie du dernier livre écrit par Cioran, Aveux et anathèmes, est devenue en quelque sorte un cliché, une image récurrente lors des colloques ou des discussions portant sur le bilinguisme. 

Habiter une langue – quelles seraient les valences d'une telle formule ? Que signifie habiter une langue ? Qu'est-ce tout d'abord habiter ? « Habiter, voilà une valeur assez déroutante et équivoque : on n'habite jamais ce qu'on est habitué à appeler habiter. Il n'y a pas d'habitat possible sans la différence de cet exil et de cette nostalgie. Certes. C'est trop connu. Mais il ne s'ensuit pas que tous les exils soient équivalents. À partir, oui, à partir de cette rive ou de cette dérivation commune, tous les expatriements restent singuliers.» (Derrida, Le Monolinguisme de l'autre – ou la prothèse d'origine, 1996)

Exil, nostalgie, expatriements, autant de mots derrière lesquels se cachent des expériences individuelles ou collectives, des ruptures existentielles, des petits drames, voire des tragédies, et seule la langue ou seules les langues offre(nt) parfois les lettres de réconfort.

Que se passe-t-il dans le cas de l’expérience du bilinguisme littéraire ? Prenons en considération les propos de Gilles Deleuze : « Nous devons être bilingue même en une seule langue, nous devons avoir une langue mineure à l’intérieur de notre langue, nous devons faire de notre propre langue un usage mineur. Le multilinguisme n’est pas seulement la possession de plusieurs systèmes dont chacun serait homogène en lui-même; c’est d’abord la ligne de fuite ou de variation qui affecte chaque système en l’empêchant d’être homogène. Non pas parler comme un Irlandais ou comme un Roumain dans une autre langue que la sienne, mais, au contraire, parler dans sa langue à soi comme un étranger. » (Gilles Deleuze, in Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, 1977)

Qu'apporte de nouveau la connaissance d'une autre langue au niveau de l'écriture? Comment le rapport entre l'écrivain et les langues qu'il pratique, manie, subit quelque fois, peut-il varier lors de ce contact avec plusieurs espaces culturels ?

La confrontation à l'écriture dans une langue étrangère, la hantise de la langue maternelle ou de la langue « autre » ou de l'autre, la problématique de la traduction et de l’auto-traduction, les enjeux de l'exil langagier, la question de l'entre-deux, en voilà autant d'aspects qui pourront nourrir la réflexion et le débat.

Et les continents à explorer s'avèrent extrêmement vastes et portent des noms comme : Benjamin Fondane, Ilarie Voronca, Tristan Tzara, Mircea Eliade, Cioran, Eugène Ionesco, Gherasim Luca, Panait Istrati, Théodore Cazaban, Dumitru Tsepeneag, Matei Vişniec, Alexandros Papadiamantis, Samuel Beckett, Vladimir Nabokov, Assia Djebar, Tahar Ben Jelloun, Boualem Sansal, Anne Weber, Herta Müller, Hubert Aquin, Gaston Miron, Dai Sijie, Sergio Kokis, Gail Scott... Il y en a beaucoup d'autres qui attendent d'être découverts, habités...

Tâchons de découvrir les yeux ouverts les chemins sinueux et imprévisibles de ces traversées poétiques des langues et des écritures !

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