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samedi 31 juillet 2010

Autoportrait (4)


« Être bilingue, c'est un peu comme d'être bigame : mais quel est celui que je trompe ? » - Elsa Triolet (1969)



« On dirait une maladie : je suis atteinte de bilinguisme. Ou encore : je suis bigame. Un crime devant la loi. Des amants, tant qu'on veut : deux maris enregistrés, non. On me regarde de travers : à qui suis-je ? » 
« Ainsi, moi, je suis bilingue. Je peux traduire ma pensée également en deux langues. Comme conséquence, j'ai un bi-destin. Ou un demi-destin. Un destin traduit. » (Elsa Triolet, La Mise en mots, Genève, Skira, coll. « Les Sentiers de la création », 1969)

jeudi 29 juillet 2010

Itinéraire bilingue (1)


Destination... Bilingue


Autoportrait (3)

« Être bilingue, ou tendre vers cet état hybride que j’estime intenable, c’est confronter en soi deux horizons, traverser deux espaces mentaux qui ne se confondent que par l’adéquation illusoire des concepts – cette chimère, tenace en nous, d’une grammaire universelle. » - Claude Esteban (2004)

« Il me faut, dès l’abord, lever une équivoque. Le partage entre deux langues, le passage continuel de l’une à l’autre, si difficilement vécu par l’enfant que j’étais, n’ont, me semble-t-il, guère favorisé en moi une aptitude à la traduction de poésie, telle que je l’ai menée par la suite. Pour paradoxale que cette remarque puisse paraître, une pareille dualité dans l’approche et l’appréhension du monde, sans relâche ressentie comme irréparable, m’aurait plutôt persuadé que les idiomes, véhiculant chacun une vision et une version du sensible, distinctes et parfois même opposées, ne m’autorisaient qu’à des translations  hasardeuses, dictées par la seule urgence de me faire entendre, et vouées à l’erreur. Que les mots dont je disposais, que le langage dont je faisais commerce, s’éloignent indéfiniment des choses, c’était déjà, pour le disciple ingénu de Cratyle que je devenais sans le savoir, une sorte de scandale, et davantage encore, une souffrance du cœur et de l’esprit. Mais s’ajoutait à cela, par une conjuration maligne, le fait que l’espagnol et le français, à travers leur lexique, leur syntaxe, le tissu verbal qu’ils tramaient, accusaient plus cruellement cette distance, privilégiant ici, négligeant là-bas certains registres du réel – couleurs, sonorités, saveurs – pour ne retenir que ce qui confortait leur idiosyncrasie ombrageuse à laquelle il ne m’appartenait pas de me dérober. Non, je n’étais pas le même, dès lors que je m’exprimais en français et en espagnol, et il me fallait vivre avec ce dédoublement de la conscience, des mots, des gestes de chaque jour, sans parvenir jamais à les réduire. Face à la présence irréfutable, magnifique, d’un arbre, d’un peu de ciel, ou simplement d’un bol de porcelaine blanche, je ne trouve, aussi loin que je remonte dans ma mémoire, qu’une immense lassitude à rassembler des signes, choisis en toute hâte, et qui se combattaient. J’étais sur mes gardes, je redoutais à chaque instant que le langage, ainsi divisé, ne me trahisse, qu’il n’offusque plus que tout l’épiphanie permanente du monde qu’il avait pour mission de dire dans son mouvoir et dans sa vérité. Je n’ai pas connu cette "hospitalité langagière" que Paul Ricoeur évoque avec émotion à propos du traducteur idéal, "où le plaisir d’habiter la langue de l’autre est compensé par le plaisir de recevoir chez soi, dans sa propre demeure d’accueil, la parole de l’étranger". Pour ma part, où que je fusse parvenu à me situer, au cœur de la langue proprement maternelle ou de celle que je devais à mon père, je demeurais à mes yeux, comme fatalement, l’intrus, le visiteur importun, l’apatride. Être bilingue, ou tendre vers cet état hybride que j’estime intenable, c’est confronter en soi deux horizons, traverser deux espaces mentaux qui ne se confondent que par l’adéquation illusoire des concepts – cette chimère, tenace en nous, d’une grammaire universelle. » 
(Extrait de l'Entretien avec Claude Esteban, par Laure Helms et Benoît Conort, paru dans le numéro 71 de la revue Le Nouveau recueil, en juin 2004, aux éditions Champ vallon. Source: http://www.maulpoix.net/esteban.html)

mardi 27 juillet 2010

Voix (1)

Ghérasim Luca (1913-1994)


Passionnément (In Le chant de la carpe 1986, Librairie José Corti, Paris. Première édition : 1973, Le Soleil Noir)

Quart d’heure de culture métaphysique (In Le chant de la carpe 1986, Librairie José Corti, Paris. Première édition : 1973, Le Soleil Noir)

Son corps léger (La Fin Du Monde, 1969, In Paralipomènes, Paris)

lundi 26 juillet 2010

Autoportrait (2)

« Je suis redevenu à nouveau bilingue, et depuis je n'ai pas cessé de l'être. »
Jorge Semprún (2010)


« Je pourrais très bien dire que je suis français et aussi espagnol. Si l'on me pose une question sur l'identité nationale, je répondrais que je n'ai pas d'identité fixe et que c'est très flou pour moi. En arrivant en France en 1939, à la fin de la guerre civile, avec ma famille, je connaissais à peine le français. Des aînés m'ont orienté dans mes lectures et j'ai découvert la beauté du français à seize ans avec André Gide, André Malraux, Louis Guilloux, Jean Giraudoux, des écrivains très différents.

J'ai cru à un moment donné que je retrouvais une nouvelle patrie et que je pouvais dire, en reprenant la formule d'un Thomas Mann : " Ma patrie, c'est la langue française." Finalement, cela n'a pas été aussi simple que ça. Curieusement, lorsque j'ai été déporté à Buchenwald, j'ai retrouvé ma langue maternelle que j'avais un peu perdue de vue puisque j'étais devenu un jeune hypokhâgneux. Il y avait là-bas une petite communauté d'Espagnols républicains qui avaient été arrêtés dans la Résistance française. Plus tard, comme ils n'étaient pas français, ils ont été considérés comme prisonniers politiques et envoyés en Autriche dans un camp très dur. Entre eux, ils parlaient espagnol et catalan. Comme il fallait trouver des distractions et que je connaissais par coeur des dizaines de poèmes espagnols, j'ai aidé à organiser des soirées de récitation et de tableaux dramatiques plus ou moins inspirés de telle ou telle scène du poète Lorca. J'ai alors repris goût à cette langue et à sa pratique même.

Je suis redevenu à nouveau bilingue, et depuis je n'ai pas cessé de l'être. Quand on me demandait mon identité, j'utilisais cette formule qui résume bien la situation : je ne suis ni espagnol, ni français, ni écrivain, je suis un ancien déporté de Buchenwald. » (Extrait de l'entretien « Jorge Semprún et l'écriture de l'Histoire », par Marc Riglet, L'EXPRESS, le 14/05/2010)


A l'orée des citations (4)

« Impossible pour l'écrivain de se situer tout à fait dans sa ou ses langues, de faire corps avec sa langue natale ou maternelle, d'habiter complètement son nom propre ou sa propre identité, impossible de coïncider avec soi-même ou avec un quelconque fantasme d'unité du sujet, impossible peut-être même d'occuper une place de sujet autrement que dans l'écriture. » (Régine Robin, Le Deuil de l'origine. Une langue en trop, la langue en moins, Paris, Presses universitaires de Vincennes, 1994, p. 9)

lundi 19 juillet 2010

Autoportrait (1)

"Je suis né pour la littérature..." Eugène Ionesco (1970)

Écrire en français (1)

"N'est-ce pas cette distanciation même qui constitue la littérature ? Notre écriture ne vient-elle pas de ce désir de rendre étranges et étrangers le familier et le familial, plutôt que du fait de vivre, banalement, à l'étranger? [...] Écrire en français, c'était donc un double éloignement : d'abord écrire, ensuite en français (ou plutôt l'inverse : d'abord en français, ensuite écrire). En d'autres termes, j'avais besoin de rendre mes pensées deux fois étranges, pour être sûre de ne pas retomber dans l'immédiateté, dans l'expérience brute sur laquelle je n'avais aucune prise." (Leïla Sebbar et Nancy Huston, Lettres parisiennes - Autopsie de l'exil, Paris, B. Barrault, 1986, p. 196-197)

Venues à l'écriture (1)

"Ce n'est qu'à partir du moment où plus rien n'allait de soi - ni le vocabulaire, ni la syntaxe, ni surtout le style -, à partir du moment où était aboli le faux naturel de la langue maternelle, que j'ai trouvé des choses à dire. Ma 'venue à l'écriture' est intrinsèquement liée à la langue française. Non pas que je la trouve plus belle ni plus expressive que la langue anglaise, mais étrangère, elle est suffisamment étrange pour stimuler ma curiosité". (Leïla Sebbar et Nancy Huston, Lettres parisiennes - Autopsie de l'exil, Paris, B. Barrault, 1986, p. 16)

lundi 5 juillet 2010

À l'orée des citations (3)

« Ne pas oublier les oiseaux. Le rossignol ne chantera ni cou-cou ni cra-cra, le corbeau n'émettra pas de trilles. Jamais. Qu'ils sortent de l'oeuf ici ou là, le langage des oiseaux est, comme le plumage, attaché à l'espèce. [...] Pour l'homme, il existe une langue maternelle, son premier mode d'expression ; ensuite, il peut l'oublier, en apprendre une ou plusieurs autres sans oublier la première. L'homme est capable de s'exprimer dans les cou-cou, cra-cra et autres trilles humains. » (Elsa Triolet, La Mise en mots, 1969)