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jeudi 12 août 2010

Écrire en français (3)

« Je n'aime pas du tout l'œuvre de Sartre, mais il avait, à mon sens, une idée très juste sur la question. Selon lui, nous parlons dans notre langue maternelle, mais nous écrivons tous dans une langue étrangère. Même ces questions que vous avez formulées par écrit, si je vous avais demandé de me les formuler oralement sans papier, vous auriez ponctué votre discours de " quoi ", " oui ", " mais " et bien d'autres choses. Une écriture aussi simple, propre aux questions d'une interview, témoigne déjà d'un effort d'écriture. Ce n'est pas votre langue habituelle. Elle est préfabriquée, stylisée. Pensez donc maintenant au roman que vous pourriez écrire sur Jules César, par exemple : il y aura là une stylisation formidable. Vous ne vous reconnaîtrez même pas dans ce roman-là. Même chose pour le Testament français. J'utilise une langue grammaticalement, lexicologiquement, morphologiquement étrangère. Mais il en serait de même en russe. Il y a dans cette langue, ainsi qu'en français, des variantes proustiennes, balzaciennes, flaubertiennes. Ce sont des langues à part entière, avec leurs syntaxes et leurs modules linguistiques, qui sont d'ailleurs souvent contraires à notre esprit. Vous acceptez une langue mais vous ne pouvez pas pénétrer dans la langue de Mallarmé. » (Extrait de l'Entretien avec Andreï Makine, par Jean-Louis Tallon, Bruxelles, avril 2002, disponible sur le site : http://erato.pagesperso-orange.fr/horspress/makine.htm)

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